Entzheim au temps des Zorn de Plobsheim
De la fin du Moyen-Age jusqu’à la Révolution, Entzheim fut une possession des Zorn de Plobsheim. Qui était au juste cette famille noble et quelle a été son influence dans la vie villageoise ? L’occasion de revenir sur certains aspects marquants en mémoire de ce passé seigneurial.
Sous l’Ancien Régime, la plupart des communes aux alentours appartiennent à des seigneuries de la « noblesse immédiate de Basse-Alsace ». Outre Plobsheim et Entzheim, les barons Zorn de Plobsheim avaient aussi acquis des terres et les droits seigneuriaux des villages d’Oberhausbergen et de Hurtigheim.
Les origines de la famille
Possession des ducs de Lorraine puis de l’évêque de Strasbourg, le fief d’Entzheim est attribué aux sieurs Zorn en 1297 par Ulrich, landgrave de Basse-Alsace. Il investit le chevalier Nicolas der alt Zorn de tous les droits et revenus qui en dépendent. C’est cette puissante famille patricienne qui a donné le plus grand nombre de dignitaires (stettmeistres et ammeistres) à la « ville libre impériale » de Strasbourg. Jusqu’à la Révolution, Entzheim a été régi par la branche aînée des Zorn de Plobsheim.
- Nicolas, le 2ème du nom, était un des vainqueurs de la bataille de Hausbergen qui s’est déroulée le 8 mars 1262 où, pour se libérer de sa tutelle, les forces de la ville de Strasbourg ont affronté l’armée de son évêque Walther de Géroldseck.
- En 1771, le seigneur Maximilien-Auguste Zorn de Plobsheim rendit une dernière fois visite à ses sujets d’Entzheim. Toute la communauté, avec le Pasteur Théobald Juch et les enfants en tête, lui avait préparé une réception mémorable n’imaginant pas que cela préfigurait la fin des anciennes institutions avec la Révolution qui a commencé en 1789.
Le château ou « Junkerhaus »
En plus de leur résidence habituelle au château de Plobsheim, les Zorn possédaient un château à Entzheim : Le Junkerhaus (la maison des nobles), entouré d’un parc seigneurial, était situé entre la rue de la Blieth et la rue de la Poste. Les écuries et les dépendances se trouvaient à la hauteur de l’arrière du restaurant Steinkeller. Les Zorn ne séjournaient que rarement dans leur demeure de campagne. Une légende de l’époque en faisait un lieu hanté la nuit par un bouc noir et des démons maléfiques.
Malgré les recherches effectuées, aucune représentation de cette demeure n’a été retrouvée à part peut-être sur une image (extrait ci-contre) qui date de l’époque de la « bataille d’Ensheim » livrée le 4 octobre 1674 (dont le 350ème anniversaire a été commémoré en 2024) et où la grande bâtisse isolée en bas pourrait être ce château.
Le village se trouvait alors au milieu des positions des Impériaux allemands opposés aux troupes du maréchal de Turenne disposées du côté de Holtzheim. Après la bataille qui fut particulièrement sanglante (environ 5000 morts), il ne restait qu’un amas de ruines entraînant l’exode des habitants vers Strasbourg et Ostwald. Seule une partie du château et une maison rue de la Hache n’auraient pas été détruits. Déjà, pendant la terrible guerre de Trente Ans (1618-1648), le village avait été entièrement ravagé en 1622.
Pendant la Révolution, le domaine avec le château en ruine a été découpé en plusieurs lots et vendu en biens nationaux, notamment à la famille Freysz. Ce type de vente a permis à des paysans fortunés d’agrandir leurs propriétés. Lors de l’élargissement de la rue de la Blieth en 1987, une grange a été démolie par le propriétaire en sauvegardant les poutres et les pierres de taille. Elle avait été bâtie sur les fondations des dépendances de l’ancien château complètement détruit après la révolution. La cave fut cependant épargnée pour devenir pendant longtemps un lieu de stockage utilisé par des paysans.
Il reste quelques blocs de pierre de taille réutilisés dans des murs de clôture, dont celui avec une « arquebusière » au 52 route de Strasbourg et le linteau d’une fenêtre du château au pied de la façade du 38 route de Strasbourg :



Les armoiries et les sceaux

Comme tous les nobles, les Zorn de Plobsheim avaient leurs armoiries. Riches en symbolisme, elles sont représentées avec un cimier distinctif (partie supérieure du blason) orné de motifs spécifiques. Il est décrit comme « une tête et col de lion couronnée d’or avec une étoile à huit branches ».
Pendant des siècles, les sceaux ont été utilisés pour authentifier les actes. Peu à peu, ils ont été remplacés par la signature autographe et l’acte notarié.
Leur devise :
NOUS CONSTRUISONS DANS LA PAIX
ET DIEU NOUS ACCOMPAGNE.
La religion et les débuts de la Réforme
Sous l’impulsion de Martin Luther (1483-1546), la Réforme protestante se répand rapidement dans le Saint Empire germanique. Strasbourg en devient un des principaux bastions. La plupart des nobles du nord de l’Alsace s’y sont ralliés. Leur choix s’impose à leurs sujets selon le principe de « la religion du prince » (cujus regio, ejus religio) institué par la « Paix d’Augsbourg » en 1555 qui a reconnu le protestantisme.
A Entzheim, la religion luthérienne est introduite le jour de Pâques 1559 (26 mars). Par la suite, la population y restera toujours très attachée.
Pendant les cultes, les Zorn avait un banc réservé. Ils disposaient aussi du droit d’être enterrés dans l’église y compris leurs amis proches. Deux membres de la famille y furent inhumés en 1709 et en 1730. En 1744, le Major Born de la cavalerie impériale fut tué par un projectile. Eloigné de sa région d’origine, il fut également inhumé dans l’église.
Les défunts reposaient dans l’ancien cimetière qui entourait l’église. En 1811, il a été transféré à son emplacement actuel rue de Hangenbieten (ou « Biedestresel » sur le nouveau panneau bilingue).
Droits seigneuriaux et privilèges
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les seigneurs n’agissaient pas en maîtres absolus empêchant toute coopération et prise de responsabilités. Ils savaient défendre leurs droits et privilèges tout en laissant une bonne part d’autonomie administrative aux habitants. Les charges, dîmes et corvées étaient néanmoins très pesantes surtout pendant les années de guerre où la population subissait en plus les cantonnements de troupes, les contributions aux charges des conflits et autres formes de ravages causés par les armées de l’époque.
Le seigneur avait le droit de ban (symbole de la justice) et le droit de possession paroissiale (agréer les desservants des églises). Il nommait le prévôt (Schultz) qui est son représentant au sein du village et les maitres d’école. Il avait droit à une partie de la dîme (impôt sur les récoltes).
C’est dans l’actuelle rue de la Dîme que se trouvait l’un des quatre « greniers à dîme » (Zehnerschier). Il percevait aussi des revenus des deux colonges d’Entzheim (grandes fermes administrées par un Meier) : la cour Saint Denis (devenu Spittelhof en 1450) et la cour de Hohenstein beaucoup moins connue.
Les nobles et le clergé ont conservé leurs privilèges jusqu’à l’abolition des droits féodaux au début de la Révolution dans la nuit du 4 août 1789.
La fin de la lignée
Né en 1822, le baron Leopold-Louis-Albert Zorn de Plobsheim a mis volontairement fin à ses jours le 2 janvier 1884 sans laisser d’héritiers (mort par balle en gare de Kehl). Il était le dernier porteur mâle de son nom en tant que fils du baron Charles-Borromée-Auguste-Antoine Zorn de Plobsheim (1773-1836) et petit-fils du général Maximilien-Auguste (1719-1774). Cette lignée, autre fois si ramifiée, s’est alors éteinte.
Malgré son rôle important joué dans l’histoire locale, peu de traces nous rappellent l’appartenance du village à la famille Zorn de Plobsheim pendant des siècles. Pourtant, de nombreux liens historiques demeurent et méritent d’être connus.
Pierre Friedrichs – Conseiller Municipal