Le 15 juillet 2022, pour le 100ème anniversaire du Grand Prix de France de vitesse organisé par l’Automobile Club de France (A.C.F.), nous avons été très nombreux à admirer les automobiles et motos anciennes qui ont défilé sur le tracé du circuit de l’époque. L’occasion de revenir sur cet évènement marquant qui n’est pas près de tomber dans l’oubli.
Outre les atouts géographiques de l’emplacement, le choix du « circuit de Strasbourg » a revêtu un côté symbolique important car il représentait une manière de célébrer le retour de l’Alsace-Lorraine à la France après presque un demi-siècle de domination allemande et au sortir de la Première Guerre Mondiale.
Pendant la « Grande semaine sportive de Strasbourg », un Grand Prix motocycliste en catégories 250, 350 et 500 cc a eu lieu le 12 juillet suivi le 15 par l’épreuve la plus attendue : le Grand Prix de vitesse. Pour terminer, le premier Grand Prix des voitures de tourisme préfigurant les premières 24 Heures du Mans en 1923 a été couru le 16 juillet. Tout un programme d’attractions, de moments festifs et de parcours de découverte de l’Alsace ont été organisés tant à Strasbourg que dans les environs.
Pour la première fois au monde, la course réservée aux voitures de tourisme qui devaient obligatoirement avoir 4 places et être « d’usage courant », prévoyait un « critérium de consommation » basé sur la mesure de la quantité d’essence restante dans le réservoir à l’arrivée. Elle a été remportée par Henri Rougier sur une Voisin.
Un circuit périlleux
Le départ du circuit de 13,380 km en forme de triangle est donné à Duppigheim devant 20000 spectateurs installés sur une impressionnante barre de tribunes (478 m) en face des stands d’où les voitures s’élancent pour la première fois toutes ensemble dans l’histoire du sport automobile et non plus à intervalles chronométrés.
Après 2 km en pleine accélération, à l’entrée d’Entzheim, se présente un premier virage très difficile en épingle à cheveux (situé à l’emplacement du giratoire actuel vers Duppigheim - voir photo en 2ème page). Son revêtement en petits pavés est posé sur une base cimentée. Il oblige les pilotes à ralentir brusquement et à négocier un virage serré à droite, avant de reprendre de la vitesse sur une longue ligne droite de 6 kilomètres jusqu’au tournant d’Innenheim.
Le dernIer virage à angle droit, le plus difficile, se situe à l’entrée de Duttlenheim avant de revenir devant les tribunes à partir desquelles les nombreux spectateurs ont pu suivre de loin presque toutes les péripéties de la course. Au total, le public a été estimé à plus de cent mille personnes tout le long du circuit.
Les bolides en présence
Leur cylindrée ne devait pas dépasser deux litres et leur poids limité à 650 kg. Installée à Molsheim depuis 1909, la marque BUGATTI aligne quatre voitures type 30 dont deux finissent classées. Elles sont équipées du premier moteur 8 cylindres en ligne et de freins hydrauliques à l’avant. S’il y a une compétition qu’Ettore Bugatti a voulu absolument gagner, c’est bien ce Grand Prix à quelques kilomètres du siège de son usine à Molsheim. FIAT avait adopté des moteurs 6 cylindres de 100 CV et des 4 cylindres pour les autres.
L’équipe FIAT était la seule basée à Entzheim chez un marchand de vins à l’emplacement de l'actuel square Vogel. Dans la cour, on peut voir le coureur Pietro Bordino au volant d’une FIAT 804. Les marques SUNBEAM et BALLOT étaient basées à Blaesheim.
Une course mouvementée
L’épreuve phare s’est déroulée en 60 tours durant un peu plus de 6 heures sur un circuit fermé en 803 km. Avec 18 bolides au départ, elle a regroupé trois nationalités de constructeurs renommés : rouge pour l’Italie (Fiat), vert pour l’Angleterre (Aston Martin, Sunbeam) et bleu pour la France (Bugatti, Ballot, Rolland-Pilain). La course s’est beaucoup jouée sur l’endurance des pilotes mais la résistance mécanique sera le facteur décisif. Chaque équipage était composé du pilote accompagné d’un mécanicien. Ils étaient les seuls à pouvoir intervenir durant la course (changements de roue…) sous peine de disqualification. Au premier virage, la très redoutée épingle d’Entzheim, le peloton est encore groupé, mais Felice Nazzaro passera rapidement devant tout le monde et dès le 10ème tour, les trois voitures rouges caracolent en tête. Rapidement, les abandons se succèdent. Avant qu’il ne perde une roue, Pietro Bordino a porté le record du tour à 141,21 km/h. Ce fut une lutte sans merci pour le prestige de ces deux grands constructeurs que sont Bugatti et Fiat.
A huit tours de l’arrivée, le neveu du vainqueur Biagio Nazarro, également sur FIAT, a un accident mortel entre Entzheim et Innenheim et son mécanicien est gravement blessé. Une stèle marque toujours l’emplacement de ce tragique évènement. Quinze voitures durent abandonner principalement pour casse du moteur.
Avec une moyenne de 127 km/h, le vainqueur Felice Nazzaro sur Fiat 804 a appris la mort de Biagio à l’arrivée. En tout, seules trois voitures ont terminé la course : 2ème : Pierre De Viscaya Bugatti Type 30), 3ème : Pierre Marco (Bugatti Type 30).
→ Le tracé du « circuit de Strasbourg » sera utilisé une dernière fois en mai 1926 pour le Grand Prix d’Alsace de vitesse pour motos et automobiles. Des Bugatti type 35 « Grand Prix » ont remporté les trois premières places.
Commémoration du centenaire
Les 16 et 17 juillet 2022, l’association des Amis du Centenaire du GP ACF de Strasbourg (AMISCENT) avec l’aide d’autres associations qui se consacrent aux véhicules anciens ont organisé un évènement festif exceptionnel qui a connu un énorme succès populaire en proposant de nombreuses animations dans les communes traversées par le circuit de l’époque : défilé de voitures et de motos anciennes, expositions, tenues d’époque, concerts et feux d’artifice. Une occasion rare d’admirer et d’entendre les 200 voitures et des motocyclettes anciennes parfaitement restaurées par leurs chanceux propriétaires.
Cet évènement unique a permis de faire perdurer la mémoire du Grand Prix de France ACF organisé dans la région. Il témoigne également des progrès techniques réalisés et du grand courage des pilotes de l'époque.
En 2023, des panneaux d’information à la mémoire du GP ACF 1922 ont été installés en des endroits bien visibles sur le tracé de l’ancien circuit désormais appelé « Chemin de la Mémoire » dans chacune des localités traversées.
Une stèle à la mémoire de JEAN BUGATTI
Le 11 août 1939 à 21 heures, Jean Bugatti, le fils d’Ettore Bugatti, fondateur de la célèbre marque en 1909, se tue sur une portion de la ligne droite du circuit du GP reliant Duppigheim à Entzheim fréquemment utilisée pour ses essais de voitures de course en raison de sa proximité de l’usine (dans le prolongement de l’actuelle rue du même nom). C’est là que « Monsieur Jean », comme on l’appelait, avait essayé une Bugatti type 57 G à compresseur surnommée « le Tank » qui venait de gagner les 24 Heures du Mans en juin 1939.
A plus de 200 km/h, en tentant d’éviter un cycliste venant en sens inverse, il a percuté un arbre de plein fouet.
Chaque année, les « Enthousiastes Bugatti Alsace » se rendent sur place pour commémorer la mort tragique de Jean Bugatti qui repose au cimetière de Dorlisheim de même que son père Ettore décédé en 1947.
Comme pour le Grand Prix A.C.F. en 1922, la commémoration du centenaire a connu un immense succès populaire, l’intérêt pour les voitures et motos d’époque étant toujours aussi fort. Un grand merci à l’AMISCENT et aux autres associations organisatrices, aux cinq municipalités concernées et à tous les participants qui nous ont permis de vivre des moments inoubliables.
Pierre Friedrichs - Conseiller municipal
. Parmi les documents et ouvrages consultés : Revues, DNA, le Monde illustré et les grands journaux sportifs de l’époque (l’Auto, le Miroir des sports …) – Mémoires du Grand Prix de l’ACF 1922 de l’association Histoire et Patrimoine de Duppigheim.
. Tous les articles historiques parus sont disponibles sur www.entzheim.fr sous les onglets Bienvenue / Le village / Histoire